« Le costume porte un message extraordinaire » nous disait Pierre Cardin, et c’est bien parce que le costume véhicule un message, une pensée, une idée qu’il est un outil politique. Le vêtement a cette capacité à incarner tout un réseau de symboles qui parle au peuple, interlocuteur des politiques.
Outre une fonction de porteur de message, le costume permet également de reconnaître l’homme politique, de le différencier des autres classes sociales, de le faire exister en tant qu’instance politique. D’ailleurs, si le costume est traditionnellement associé au politique, c’est parce qu’il l’incarne, parce que chaque détail d’un costume permet l’incarnation de l’autorité. L’habit confère un pouvoir, comme le képi donne une autorité. Le costume confère un pouvoir extraordinaire et les politiciens savent en jouer.
Aujourd’hui cependant, à quelques exceptions près, les politiques arrivent à nous faire douter de leur capacité à dompter le costume pour en faire un outil politique. Nous ne manquerons pas de leur tailler un costume au cours de cet article…
Introduction
Il nous faut ajouter à la petite analyse qui va suivre que l’importance du costume diffère en fonction du pays dans lequel on se trouve. En effet, les Anglais le portent de façon très formelle, leur culture du vêtement liée à la royauté faisant du costume un outil de travail, de respect et de différentiation, même si un certain Boris s’évertue à défrayer la chronique au sein de la rue Savile Row.
En France, la Révolution a je crois aboli une certaine « formalité » du costume au sein de la caste politique. Même si redingote et chapeau restent de mise au XIXe siècle et que le XXe siècle connaît en France une belle culture du costume, la formalité y est plus facilement dépassée que chez nos éternels rivaux. Quant à l’Allemagne, le règne de l’austérité du vêtement a encore de beaux jours devant lui. En Italie en revanche, le mot style semble régir la politique, et la formalité se plaît à s’y associer. Pour finir, c’est je crois chez nos chers amis américains et africains que le costume porte le plus grand message politique !
Sans faire une chronologie du costume et des politiciens dans chaque pays, nous nous amuserons dans cet article à voir à travers quelques exemples du XXe siècle comment les hommes politiques arborent (plus ou moins bien) le costume, tout en lui donnant une valeur politique reflétant les caractères de leurs cultures.
Honneur à la France
Du costume militaire du Général aux sobres costumes macronistes en passant par la cravate déchirée de Hollande, force est de constater que les politiques français ont su briller par leurs succès vestimentaires autant que par leur ridicule.
Vestimentairement parlant, De Gaulle incarnait la tradition. Outre l’uniforme militaire, il portait fièrement le costume croisé trois pièces européen. Le général avait ce génie d’avoir un costume qui était triplement adapté à sa carrure, à son égo et à son poste. En effet, il est difficile de trouver un costume qui lui serait plus adapté, le boutonnage croisé rappelant son origine militaire autant qu’il épouse sa forte cage thoracique. Son costume incarne aussi le formalisme politique qui reste un mot d’ordre quand on associe politique et costume : le gris foncé, couleur neutre permet de transformer le costume en uniforme. En témoigne sa rencontre avec le chancelier Adenauer en 1962.
Profitons-en pour une courte parenthèse sur nos amis Allemands, dont le style d’Adenauer est l’incarnation physique : une sobriété et un formalisme à toute épreuve, costume droit, trois pièces, gris. Le costume est le reflet de la mentalité du pays, car le côté morne, formel et efficace des Allemands n’est pas qu’un cliché. Il est même l’écho d’une attitude ; si De Gaulle porte un costume qui fait très paternel avec une coupe rendant un aspect très « carré », celui d’Adenauer est bien plus neutre, ce qui rend son porteur moins chaleureux, plus froid, plus neutre, tout en renforçant le sérieux de la fonction d’homme d’État.
Si nous avançons dans le temps et survolons VGE et ses costumes à trois boutons typiques des années 70 accompagnés de nœuds de cravate énormes, Mitterrand et ses costumes Cifonelli assortis à ses chapeaux Arny’s (on ne se lasse pas de la sobriété socialiste).
Et le style « bon père de famille qui veut rester jeune » de notre cher Chirac qui tenait à refléter grâce à sa tenue un style de dandy provincial.
Chez l’extrême-droite, Jean-Marie Lepen montre l’exemple.
Ensuite, nous entrons dans l’ère de la neutralité : tous les hommes politiques semblent porter le même costume depuis Nicolas Sarkozy.
Si le vêtement était pour tous nos présidents passés une arme d’affirmation d’une identité personnelle incarnant le sommet de l’État, le costume devient en 2007 un appareil de communication politique. Une stratégie de communication cherchant à faire en sorte que le vêtement ne parle plus du tout ? Nous pourrions aller jusqu’à supputer que cette uniformisation du vêtement est un des signes d’un vaste mouvement d’uniformisation des biens, mais ici n’est pas le lieu pour de telles questions.
Malgré tout, alors que les politiques contemporains cherchent à se fondre dans la masse en montrant qu’eux aussi peuvent porter des costumes « simples et efficaces », notre Nicolas national s’est permis, à juste titre, quelques plaisirs en portant des costumes Stark & Sons ou encore de notre bien aimée maison française Dior, de même que quelques Rolex, Patek et Cartier à son poignet, rappelant ainsi que la politique, le costume, le luxe et le pouvoir sont bien des éléments qui se rejoignent.
Quant à François Fillon, un habitué d’Arnys, il se démarquait particulièrement par ses costumes à cran parisien et tenues toujours impeccables. L’un des rares politiciens à qui nous reconnaissons un certain style…
À titre d’exception confirmant la règle de l’uniformisation, Bernard Cazeneuve a su se démarquer de son président à la cravate arrachée en faisant preuve d’originalité à travers des costumes croisés, des feutres, des manteaux à col en velours…
Aux éternels numéro 2, les anglais !
L’excroissance outre-manche, bien que nous pourrions passer des heures à lister ses défauts, a tout de même un certain don pour le costume. Les Anglais ont historiquement lié le costume à la monarchie ; il suffit de penser au célèbre trio redingote-pantalon à rayures – haut de forme des parlementaires edwardien pour s’en rendre compte.
Le costume y est symbole de pouvoir et de distinction ; quel politique anglais ne s’est pas vêtu au moins une fois dans Savile Row ?
Le lien entre politique et costume y est encore plus fort qu’en France. En effet, ne serait-ce que le fait d’être membre du Parti Travailliste ou Conservateur vous pousse à vous vêtir de telle ou telle façon. Repensez à Harold Wilson, premier ministre travailliste expliquant dans The Crown qu’il fume la pipe et porte des costumes simples parce qu’il est socialiste ! Le costume reflète chez eux les idées, alors faisons une comparaison entre quelques premiers ministres conservateurs et travaillistes.
Le conservateur Harold MacMillan
A l’instar des hommes de son époque, le premier ministre MacMillan brillait par son charisme et ses costumes affûtés, sa garde-robe était classique, costumes deux boutons à rayures et costumes croisés gris.
La brute épaisse du style anglais : Sir Anthony Eden
Véritable icône du style anglais, Eden succède à Churchill et se doit de faire preuve d’une certaine stature en tant qu’héritier du vieux lion. Revers en pointes extra larges, gilets croisés ou simples, montre à gousset, toujours tiré à 4 épingles, on peut dire qu’il a réussi à porter son rôle aussi bien que sa veste.
Le pacha travailliste : Harold Wilson
Comment lutter en termes de style face à une brute telle qu’Eden ? Par la simplicité, nous répondrait Wilson ! Revers à cran sport, costume gris, gilet simple, cravate unie, pipe et pantalon taille extra haute, voilà l’uniforme du politique travailliste des années 70 en Angleterre. Si les socialistes se plaisaient à rêver de béton comme en URSS, le costume de Wilson a su refléter ses idéaux de sobriété !
Comme nous l’avons observé précédemment avec nos chers français, les années 2000 était aussi une époque vestimentaire inintéressante pour nos éternels-rivaux. Les costumes (aux revers fins) bleu et noir ainsi que la cravate unie sont devenus la tenue par défaut. Les politiciens évitent désormais les motifs, les costumes 3 pièces et les chemises à rayures. Voyez ci-dessous, David Cameron est l’incarnation de ce style fade…
L’inattendu Boris Johnson
Eh oui, les conservateurs peuvent également arborer un style étrange, et le Premier Ministre actuel en est la preuve. Si nous devions décrire son style, je crois que “négligence” serait le maître mot (terme qui illustre également son mandat ; comme quoi, le lien entre vêtement et politique n’est peut-être pas si bénin que ça…).
A nos éternels élégants, les Italiens
J’en nommerai un seul ici, un homme qui englobe à lui seul tous les liens qu’entretiennent costume et Italie, j’ai nommé il Cavaliere, Silvio Berlusconi.
Il faut bien admettre que l’imaginaire Italie, politique, mafia et costume ne vient pas de nulle part. Ce triste quatuor est bien incarné par Berlusconi ; les Italiens ont toujours eu un goût raffiné pour les costumes élégants, fins, se démarquant des autres, attributs des grands mafieux dans l’imaginaire collectif (rappelons par ailleurs que la majorité de ces derniers porte en fait des shorts et des débardeurs blancs qui laissent dépasser leurs boulets et poils et sont très rarement élégants, ne laissons pas l’imaginaire nous faire croire l’inverse de la réalité).
Berlusconi a été le grand homme politique italien de la deuxième partie du XXe siècle, homme d’affaire riche, puissant, entretenant des liens avec la mafia, chef du gouvernement, voilà l’archétype de ce qu’est le politique italien : costume croisé sombre à revers en pointe, cheveux gominés, plaqués en arrière et, assez souvent, une chemise sans cravate.
Aux amoureux du lasso, les Américains !
Eh non, leurs costumes ne se résument pas à une épaule rembourrée bien carrée pour donner l’impression qu’on est le plus costaud, ils savent aussi faire dans l’originalité. Le style far West reste chez eux une véritable tradition qu’ils maîtrisent tous plus ou moins bien. Si Obama et Trump se contentaient de porter le chapeau pour la blague, Clinton, Bush et Reagan en avaient fait un véritable élément de leur ethos d’homme politique.
Costume traditionnel de cow-boy pour l’un, adaptation du style pour l’autre avec une veste en velours marron clair accompagnée du cultissime chapeau de cow-boy blanc, comment peut-on faire plus américain que ça ?
Entre européanisme et tradition, l’Afrique et le costume
Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, Ahmadou Kourouma explique que Koyaga, avatar du dictateur togolais Gnassingbé Eyadema, porte le « traditionnel trois pièces européen » par souci d’incarner le pouvoir. Le costume européen est en Afrique devenu symbole de pouvoir, et de façon bien plus sensible qu’en Europe.
L’un des précurseurs est le roi du Maroc Hassan II dont l’élégance n’est plus à discuter. Il est celui qui a fait la renommée et le rayonnement du tailleur Francesco Smalto et celui l’ayant introduit à d’autres politiciens africains.
Si Smalto fut le tailleur de la Françafrique, il ne faut pas oublier que les costumes traditionnels africains cohabitaient, même chez les porteurs de trois pièces. Un fin alliage vestimentaire entre tradition et modernité européenne a permis à nombre de chefs d’État Africains de donner une figure spécifique au pouvoir.
Omar Bongo est celui qui incarnait le plus l’extravagance d’un chef d’état, on pouvait l’apercevoir en costume trois pièces rayées et bottines dont les talons mesuraient 5 cm ou en costume entièrement blanc et col long de 10 cm. La quintessence du style des stars du show-business des années 70.
Conclusion
En clair, le costume participe à l’ethos des personnalités politiques, il permet d’incarner une culture et de renvoyer une image de soi maîtrisée. Chaque pays et chaque culture arrivent à s’incarner différemment dans un costume. Un certain type d’épaule, certains revers, certains tissus permettent de renvoyer directement à des idées politiques et à des spécificités culturelles. Si traditionnellement, l’habit ne fait pas le moine, ici, le costume fait le politique autant que le politique fait le costume.